Thomas Müntzer

Müntzer, Thomas, né vers 1489 à Stolberg dans le Harz, exécuté le 27 mai 1525 près de Mühlhausen (Thuringe), Allemagne ; prédicateur et l’un des meneurs de la Guerre des Paysans de 1525.

Origines, formation, action préréformatrice

Comme Martin Luther, Thomas Müntzer est né dans une contrée du Harz connue pour ses richesses métallurgiques. Les porteurs de ce nom patronymique attestés depuis le XVe siècle à Stolberg appartenaient en majorité à la classe urbaine supérieure et avaient une relation professionnelle avec la famille des comtes régnants. Les parents de Müntzer n’ont pas été à ce jour identifiés, et il est difficile de déceler une quelconque influence du milieu social sur son évolution ultérieure. C’est probablement à Quedlinbourg qu’il reçut sa formation scolaire, puisqu’il fut inscrit au début du semestre d’hiver 1506/07 à l’université de Leipzig sous le nom de « Thomas Munczer de Quedilburck ». À l’université de Francfort sur l’Oder, il est enregistré au début du semestre d’hiver 1512/13 sous le nom de « Thomas Müntczer Stolbergensis ». On est aussi mal renseigné sur la durée et le contenu de ses études que sur ses contacts avec ses professeurs et ses camarades. Il n’existe pas non plus de preuve universitaire sur l’obtention de son grade de Magister artium (mentionné pour la première fois en 1515), ni sur celui de Baccalaureus biblicus (mentionné pour la première fois en 1521). Dans les intervalles de ses périodes universitaires, il a sans doute exercé la profession intérimaire usuelle de professeur aux Écoles Latines de Aschersleben et de Halle. Le 6 mai 1514, après son ordination comme prêtre du diocèse de Halberstadt, l’ancien Conseil de la ville de Brunswick le dota d’un bénéfice d’autel maigrement rétribué à l’église Saint Michel. Dans cette ville hanséatique, il eut probablement aussi des élèves privés issus des familles en plein essor de marchands et d’artisans, qui, dans leur quête d’une piété biblique approfondie, se regroupaient autour de Müntzer sous l’influence de la mystique populaire du Moyen Âge tardif. En 1515/16, il fut préfet du chapitre de chanoinesses Frose proche d’Aschersleben. Il avait en fait en charge le petit contingent de prêtres assignés au chapitre. En même temps, il instruisait des fils de familles de Brunswick qui faisaient partie du cercle de ses relations. Lorsque, en 1517, la question des indulgences fut débattue, à Brunswick aussi, grâce aux activités de Johann Tetzel, Müntzer prit une position critique à leur égard avant même que Luther ne se fût exprimé à ce sujet. Rien ne nous dit qu’il ait dû quitter Brunswick après cette controverse, ni qu’il se soit rendu à Wittenberg pour faire le clair sur la question.

Allié résolu des Réformateurs de Wittenberg

Müntzer séjourna à Wittenberg entre 1517 et 1519, à l’exception de quelques déplacements (dont un voyage en Franconie). Il en profita pour s’engager dans des études humanistes et théologiques tout en s’impliquant dans le mouvement réformateur naissant, et il entra en contact avec ses représentants. À Pâques 1519, il remplaça à Jüterbog le prédicateur Franz Günther, qui était entré en conflit avec les Franciscains implantés à cet endroit. La critique engagée que Müntzer fit de l’Église, dans l’esprit des débuts de la Réforme, aggrava le conflit qui faisait partie des préliminaires de la dispute de Leipzig, et dans lequel il reçut le soutien de Luther. Au moment où il accepte, en 1519, le poste de confesseur dans le couvent de cisterciennes de Beuditz proche de Weissenfels, on perçoit pour la première fois les signes d’une conscience personnelle de sa mission. C’est là qu’il trouva aussi le loisir d’étudier de près les auteurs antiques, les Pères de l’Église, en particulier Augustin, l’histoire de l’Église primitive, ainsi que les actes des conciles de réforme de Constance et de Bâle.

Recommandé par Luther, Müntzer sera ensuite nommé comme prédicateur à Zwickau. Dans cet important centre économique et culturel, il assuma d’abord, à partir de mai 1520, un assez long intérim comme prédicateur à l’église Sainte Marie, en remplacement du réformateur humaniste Johann Egranus. Il comprenait sa position comme une vocation à la proclamation rigoureuse de la Réforme. Sa toute première prédication déclencha un conflit avec les influents Franciscains du lieu, conflit qui fut réglé avec l’aide du conseil municipal et du bailli représentant le Prince Électeur. Après le retour d’Egranus, Müntzer sera muté à Sainte-Catherine, deuxième église de la ville où il obtient le poste de prédicateur vacant. Il n’y avait pas de différences sociales fondamentales entre les deux paroisses. Par opposition à la conception érasmienne de la Réforme d’un Egranus, Müntzer proclamait une certitude de foi qui prenait modèle sur l’époque apostolique, et dont l’expérience pouvait être vécue sous l’action de l’Esprit Saint. Sous la conduite du drapier Nicolas Storch se rassemble autour de lui un groupe de laïcs, caractérisés par une piété expérimentale dans l’esprit évangélique, la critique du baptême des enfants et des attentes apocalyptiques. Egranus et ses fidèles défendaient en revanche une conception plutôt traditionnelle du christianisme réformé. Les adeptes de Müntzer dénoncent Egranus et ses partisans comme des réformateurs hypocrites, leur reprochant de rejeter intérieurement le nouvel Évangile, et polarisant ainsi le conflit. Le 16 avril 1521, le conseil municipal de Zwickau décide de la révocation de Müntzer, et les tensions reflétant les tous premiers clivages à l’intérieur du mouvement réformateur sont pour l’instant désamorcées.

Gardant intacte la conscience de sa mission, Müntzer quitta Zwickau et partit pour la Bohême, où, bien auparavant déjà, il avait cru pouvoir trouver de meilleurs chrétiens. En tant que serviteur prophétique de Dieu, il voulait, face à l’imminence du jugement de Dieu, gagner les Bohémiens pour instaurer une Église purifiée s’inspirant du modèle de l’époque apostolique. Manifestement, dans les cercles universitaires pragois, il fut au début considéré comme un représentant de la Réforme de Wittenberg. Il exposa sa polémique anticléricale incisive et ses principales orientations théologiques (imitation du Christ, expérience vécue de Dieu, restauration de l’ordre originel de la création) dans une Lettre ouverte de novembre 1521, qui existe en quatre versions différentes, une en latin, deux en allemand et une en tchèque. Il ne réussit guère à se faire entendre, fut placé sous surveillance et obligé de quitter la Bohême avant la fin de l’année. Jusqu’à la fin de l’année 1522, on n’a plus que des traces éparses des efforts de Müntzer pour trouver un point d’ancrage d’où il aurait pu lancer sa mission. Au tournant des années 1522/23, il obtint un poste de chapelain dans le couvent de cisterciennes Glaucha proche de Halle, qu’il fut toutefois obligé de quitter au bout de trois mois.

Pour une Communauté des Élus face à l’imminence du Jugement

À Pâques 1523, on le retrouve à Allstedt, enclave protestante dans la Saxe catholique, comme pasteur de paroisse à l’église de la nouvelle ville. Dans cette petite enclave protestante de Saxe électorale, il met aussitôt en œuvre son projet de réorganisation du culte. Il traduit à partir du missel latin un Ordre de messe évangélique en allemand et, à partir de la Liturgie des Heures, un Ordre de culte hebdomadaire en allemand, avec cinq modèles de culte selon les temps de l’année ecclésiastique. Probablement au cours de l’année 1523, il prépara ses Ordres complets de culte en allemand (les premiers qui furent pratiqués ) pour l’impression chez Nicolas Wiedemar à Eilenbourg. Il s’implanta rapidement à Allstedt, épousa l’ancienne nonne Ottilie von Gersen et entreprit de transformer l’église de la nouvelle ville d’Allstedt en Communauté des Élus. Sa tentative de renouer avec Luther échoua, alors qu’il parvint à reprendre contact avec Andreas Carlstadt. Très rapidement, ses services religieux exercèrent une grande attraction sur la région entière. Ils inquiétèrent les autorités opposées à la Réforme, surtout lorsque le renouvellement de l’Édit de Worms par le Reichsregiment fut transmis en mai 1523 aux princes saxons. C’est probablement dans ce contexte que fut composé le premier écrit imprimé de Müntzer, sa Lettre ouverte à ses chers frères de Stolberg les invitant solennellement à se garder de toute sédition inopportune (1523). Il y soulignait que la venue du règne du Christ ne pourrait pas avoir lieu avant que les Élus aient atteint la vraie foi.

En septembre 1523, Müntzer en arriva à un conflit ouvert avec le comte Ernest de Mansfeld à Heldrungen après que le comte ait interdit à plusieurs reprises à ses sujets de venir assister aux services religieux « hérétiques » d’Allstedt, et que Müntzer ait réagi en le déclarant ennemi de l’Évangile. Lorsque le Prince Électeur fut impliqué, Müntzer se justifia en se référant au fait que, étant donné que Dieu l’avait chargé d’une mission de prédication, les princes avaient le devoir de le protéger, conformément à leur fonction dans l’attente du Jugement dernier. Pour défendre sa réforme du culte, il publia chez Wiedemar son Ordre et Explication en allemand du service divin d’Allstedt, une explication de son Ordre de la messe, du baptême, du mariage, de la communion des malades et des obsèques. À Allstedt, Müntzer est resté fidèle au baptême des enfants, tout en confiant aux parrains la responsabilité de veiller à l’éducation des jeunes enfants dans la foi. On ne sait pas si les notes transmises pour introduire une cérémonie de baptême annuelle et le report de l’âge du baptême à 6 ou 7 ans datent encore de l’époque d’Allstedt ou non. Le conflit à propos de la réforme du culte de Müntzer et le contenu de sa prédication ne fut probablement clarifié que lorsque le Prince Électeur Frédéric et sa suite, en route pour la Diète de Nuremberg, séjournèrent au château d’Allstedt du 4 au 14 novembre 1523. Ce fut sans doute à cette occasion que parut le traité Protestation et Déclaration de Thomas Muentzer de Stolberg dans le Harz, pasteur à Allstedt, au sujet de son enseignement, en commençant par la vraie foi chrétienne et le baptême (1523). Et c’est vraisemblablement dans le prolongement des “discussions doctrinales ” au château que Müntzer a publié son dernier petit écrit De la foi imaginaire (1523). Il réclamait que la foi apprise (imaginaire) fût remplacée par la foi vraie, qui ne pouvait être atteinte que dans l’imitation du Christ souffrant.

Au printemps 1524, les princes de la ligne ernestine intervinrent à nouveau lorsque des adeptes de Müntzer mirent le feu à la chapelle de Mallerbach du couvent de Naundorf proche d’Allstedt, et que l’abbesse exigea la punition des coupables. Le conseil municipal d’Allstedt et le bailli Zeiss purent longtemps retarder l’enquête. C’est seulement en juin qu’un membre du conseil municipal fut arrêté sur demande expresse du Duc Jean. Les nombreux catholiques des environs attirés par les nouveaux offices divins furent de plus en plus exposés à des répressions de la part des autorités, et même ceux qui avaient trouvé refuge à Allstedt devaient compter avec leur extradition. Les habitants d’Allstedt voulurent prendre les armes contre ces interventions extérieures. Müntzer tenta d’arrêter l’escalade de violence en essayant de gagner les princes territoriaux pour la protection des Élus. Le 13 juillet, il fit devant le Duc Jean et son entourage un sermon sur Daniel 2 : il parla de la décadence des empires universels, de la venue du règne du Christ et du rôle qui était attendu des autorités dans cette période de transition. Ce remarquable sermon fut immédiatement mis sous presse dans l’imprimerie d’Allstedt, que Müntzer avait fondée après la fermeture de l’officine d’Eilenburg. Dès l’été 1523, Müntzer avait organisé ses disciples en une ligue secrète de défense mutuelle, et dans cette situation tendue, il donna le 24 juillet à cette ligue une forme publique, en y admettant aussi des gens venus d’ailleurs et entreprit de l’élargir en créant d’autres implantations (comme à Orlamünde). Luther réagit avec sa Lettre aux princes de Saxe sur l’esprit de sédition (1524), virulent pamphlet contre Müntzer qu’il considérait comme un prédicateur porté à la violence, et dont il exigeait l’expulsion du territoire. Dans un interrogatoire à la cour de Weimar auquel furent soumis Müntzer, le conseil municipal et le bailli fin juillet/ début aout 1524, Müntzer fut exhorté à dissoudre l’alliance et à licencier son imprimeur. Après une vaine tentative de mettre de son côté le bailli et le conseil municipal, Müntzer quitta Allstedt dans la nuit du 7 au 8 août. À partir de la mi-août, il tenta avec l’ancien moine cistercien Heinrich Pfeiffer de mettre de nouveau sur pied une Communauté des Élus en s’appuyant sur le mouvement réformateur dans la ville d’Empire libre de Mühlhausen. Les Onze articles, rédigés par lui ou avec sa participation, exigeaient un nouveau conseil municipal pour Mühlhausen. C’est probablement l’aggravation du conflit avec le gouvernement de la ville qui suscita la création d’ une « alliance éternelle de Dieu ». Avec l’aide d’ une levée de troupes rurales, le conseil municipal réussit pourtant à expulser Müntzer et Pfeiffer début octobre.

La Protestation de Müntzer et son écrit De la foi imaginaire tombèrent entre les mains des proto-anabaptistes du groupe de Conrad Grebel à Zürich, et par Hans Hujuff de Halle, dont ils étaient proches, ils obtinrent des informations supplémentaires sur l’action de Müntzer à Allstedt. Début septembre, Grebel écrivit au nom de son groupe à Müntzer, son « frère en Christ », dans le but d’entreprendre avec lui « une mutuelle discussion future ». Il lui disait que ses écrits révélaient des points communs entre eux, comme il l’avait constaté déjà pour d’autres critiques du traditionnel baptême des enfants, en particulier chez Andreas Carlstadt et Jacob Strauss. Pour l’essentiel, ce qui les rapprochait était la foi véritable, acquise dans l’imitation des souffrances du Christ, la critique du baptême des enfants, la condamnation des réformateurs pusillanimes, la purification de l’Église selon les normes apostoliques. Cependant, il n’hésitait pas à exprimer des réserves vis-à-vis de certaines idées de Müntzer, notamment sur le fait qu’il contestait la validité des cérémonies, et qu’il était prêt à recourir à la violence pour imposer la Réforme. Quoi qu’il en soit, l’accent était mis sur la recherche d’un partenaire de discussion et non pas sur la critique d’un réformateur radical. Cette lettre n’a probablement jamais atteint Müntzer, puisqu’il avait déjà quitté Allstedt, et qu’aucune discussion n’avait pu prendre place.

Vision du mouvement de révolte comme instrument du jugement divin

Après son expulsion de Mühlhausen, on ne retrouve les traces de Müntzer qu’à Nuremberg. Son écrit d’Allstedt remanié, Expresse mise à nu de la fausse foi exposée au monde infidèle (1524), qui fut imprimé par l’intermédiaire de Hans Hut, fut confisqué par le conseil de Nuremberg en octobre 1524. Le même sort fut réservé en décembre à sa riposte à Luther, le Plaidoyer très bien fondé et réponse à la chair sans esprit qui mène douce vie à Wittenberg (1524), qu’il avait lui-même donné à imprimer. Müntzer n’apparut en public ni à Nuremberg, ni lors de sa rencontre ultérieure avec le réformateur bâlois Oecolampade. Il n’existe aucune preuve de sa rencontre avec les proto-anabaptistes de Zürich, bien qu’il soit vraisemblablement allé voir Balthasar Hubmaier à Waldshut. Il se peut qu’il ait écrit les Articles sur la manière de gouverner pour le mouvement des paysans révoltés du Klettgau. Apparemment, Müntzer voyait dans le peuple révolté l’instrument d’élection du jugement divin à partir du moment où les gouvernements institués refusaient d’assumer cette tâche. En février 1525, il retourna à Mühlhausen, assuma le pastorat à l’église Sainte-Marie, et continua à promouvoir l’édification d’une Communauté des Élus dans l’attente de l’imminence du Jugement dernier. Selon les directives des Onze Articles, un nouveau conseil fut élu, un conseil « éternel ». Quand la révolte d’Allemagne du Sud gagna la Thuringe à la fin du mois d’avril, Müntzer y vit l’action de Dieu, qui aurait décidé de révoquer les autorités en place et d’initier la séparation des Élus et des impies. Il invita alors les anciens membres de l’alliance d’Allstedt et tous les hommes disposés à croire, à se joindre au soulèvement conformément à la volonté de Dieu. Après une intervention militaire ponctuelle dans la région de l’Eichsfeld, il répondit, avec la moitié du contingent de Mühlhausen, aux pressants appels à l’aide des révoltés de Thuringe qui s’étaient rassemblés à Frankenhausen. C’est là qu’étaient attendues les armées princières de Hesse et de Saxe pour une bataille décisive (Guerre des Paysans). Après une escarmouche le jour précédent, les forces ennemies se rencontrèrent le 15 mai. Il est difficile d’éclaircir le déroulement de la bataille. La plupart des révoltés furent massacrés pratiquement sans offrir de résistance. Müntzer fut arrêté dans sa fuite et emprisonné au château de Heldrungen. Après un interrogatoire, il fut exécuté, en même temps que Heinrich Pfeiffer, dans le camp princier établi devant Mühlhausen, après avoir appelé le peuple de Mühlhausen à abandonner le combat. Dans cette lettre d’adieu, il dénonçait la cupidité des révoltés comme cause de la défaite et il comprenait sa mort comme sacrifice expiatoire pour la désobéissance du peuple à la volonté de Dieu. Il ne remettait cependant pas en cause sa mission divine.

Une théologie réformatrice aux accents personnels

Le cadre théologique dans lequel s’inscrit la conscience qu’il avait de sa mission reste difficile à définir. En tant que théologien réformé ayant reçu une formation académique, il respectait la tradition confessionnelle de l’Église médiévale (doctrine de la Trinité), mais il y mettait des accents personnels. Sa proclamation était centrée sur la tâche de démasquer la foi « imaginaire », sur l’indispensable chemin de souffrance qui menait vers la foi vraie dans l’imitation du Christ, sur l’annonce du Jugement divin, dans le but de rétablir l’ordre originel de Dieu, avec la souveraineté immédiate de Dieu sur les hommes et des hommes sur les créatures. Dans son argumentation, Müntzer prenait appui sur la Bible, qu’il comprenait comme une unité conformément à la tradition de l’Église primitive. Dans son ensemble, l’époque apostolique avait pour lui une fonction normative plus forte que pour la plupart des théologiens de la Réforme. Pour la description du processus du salut, il utilisait des formes de pensée et d’expression de la mystique médiévale tardive ; pour ses annonces du Jugement et de l’avenir, il s’inspirait aussi de la tradition apocalyptique. Müntzer a combiné ensemble ces éléments traditionnels et ainsi associé les idées du processus de salut individuel avec une vision de la refonte du monde face à l’imminence du Jugement. La crainte des créatures était remplacée par la crainte de Dieu, et c’est bien là qu’était enraciné son appel à s’opposer résolument aux institutions fondées sur la crainte des créatures.

Impact historique

L’insistance de Müntzer sur la foi vécue par expérience, sa critique du baptême traditionnel et de l’ordre social existant, tout comme sa façon de prendre modèle sur l’époque apostolique rencontrèrent rapidement un certain succès là où se faisait jour une conception de la foi différente de celle des réformes de Luther et de Zwingli. Avec un titre modifié et sous le pseudonyme de Christian Hitz de Salzbourg, son écrit contre la Foi imaginaire fut publié à Salzbourg en 1526. Des copies circulaient encore chez les anabaptistes en 1531. Des spiritualistes tels que Sebastian Franck ou Valentin Weigel connaissaient les écrits de Müntzer, de même que l’anabaptiste de Nuremberg Hans Denck. Par la suite, Gottfried Arnold oeuvra à nouveau pour une réception, même si ce n’était pas sans réserve. C’est surtout par les écrits polémiques de Wittenberg que la participation de Müntzer à la Guerre des Paysans fut gardée en mémoire par les générations futures, de sorte qu’il fut considéré jusqu’au XXe siècle comme l’archétype du fanatisme et de la rébellion. La thèse des rapports étroits entre le mouvement anabaptiste et Müntzer, qui fut défendue jusqu’au XXe siècle, ne se fondait pas tout d’abord sur la lettre de Grebel, qui ne fut connue qu’au XVIIIe siècle. Bien plutôt, cette idée (ainsi que celle d’un lien supposé entre Müntzer et le royaume anabaptiste de Münster) est surtout à mettre au compte de Philippe Melanchthon qui voit les origines de l’anabaptisme chez les prophètes de Zwickau (Müntzer aurait été l’élève de Nikolaus Storch). La présentation des anabaptistes dans les écrits de Heinrich Bullinger va d’ailleurs également dans ce sens. Les recherches récentes ont confirmé l’influence de Müntzer sur l’anabaptisme d’Allemagne centrale et méridionale par l’intermédiaire de Hans Hut, qui fut, à juste titre, qualifié par Gottfried Seebass d’ « héritier de Müntzer ».

Son influence sur l’histoire du culte protestant et sur la piété de l’imitation du Christ, ainsi que son rôle dans la constitution d’une critique de l’autorité établie et d’une doctrine de la résistance confèrent à Thomas Müntzer une importance historique de premier ordre.

Sources

Thomas Müntzer. Schriften und Briefe. Kritische Gesamtausgabe, unter Mitwirkung von Paul Kirn hg. von Günther Franz, Gütersloh 1968. – Thomas-Müntzer-Ausgabe. Kritische Gesamtausgabe, hg. von Helmar Junghans, Bd. 2: Briefwechsel, bearb. von Siegfried Bräuer und Manfred Kobuch, Leipzig 2010; Bd. 3: Quellen zu Thomas Müntzer, bearb. von Wieland Held und Siegfried Hoyer, Leipzig 2004. – The Collected Works of Thomas Müntzer, hg. und übersetzt von Peter Matheson, Edinburgh 1988.

Littérature secondaire

Marion Dammaschke und Günter Vogler, Thomas-Müntzer-Bibliographie (1519-2012), Baden-Baden 2013. – Gottfried Seebaß, Art. Thomas Müntzer, in: Theologische Realenzyklopädie 23, Berlin 1994, 414-436 (Lit.). – Max Steinmetz, Das Müntzerbild von Martin Luther bis Friedrich Engels, Berlin 1971. – Ingo Warnke, Wörterbuch zu Thomas Müntzers deutschen Schriften und Briefen, Tübingen 1993. – Carl Hinrichs, Luther und Müntzer. Ihre Auseinandersetzung über Obrigkeit und Widerstandsrecht. Berlin 1952. – Manfred Bensing, Thomas Müntzer und der Thüringer Aufstand 1525, Berlin 1966. – Hans-Jürgen Goertz, Innere und äußere Ordnung in der Theologie Thomas Müntzers, Leiden 1967. – Walter Elliger Thomas Müntzer. Leben und Werk. 3. Aufl., Göttingen 1976. – Reinhard Schwarz, Die apokalyptische Theologie Thomas Müntzers und der Taboriten, Berlin 1977. – James M. Stayer und Werner O. Packull (Hg.), The Anabaptists and Thomas Müntzer, Dubuque, Iowa, 1980. – Max Steinmetz, Thomas Müntzers Weg nach Allstedt, Berlin 1988. – Ulrich Bubenheimer, Thomas Müntzer. Herkunft und Bildung. Leiden 1989. – Siegfried Bräuer und Helmar Junghans (Hg.), Der Theologe Thomas Müntzer. Untersuchungen zu seiner Entwicklung und Lehre. Berlin und Göttingen 1989. – Hans-Jürgen Goertz, Thomas Müntzer. Mystiker, Apokalyptiker, Revolutionär. München 1989 (engl. und jap.). – Günter Vogler. Thomas Müntzer, Berlin 1989. – Tom Scott, Thomas Müntzer. Theology and Revolution in the German Reformation. Houndmills und London 1989. – Abraham Friesen, Thomas Muentzer, a Destroyer of the Godless. The Making of a Sixteenth Century Religious Revolutionary. Berkeley, Los Angeles und Oxford 1990. – Siegfried Bräuer, Spottgedichte, Träume und Polemik in den frühen Jahren der Reformation, hg. von Hans-Jürgen Goertz und Eike Wolgast, Leipzig 2000. – Gottfried Seebaß, Müntzers Erbe. Werk, Leben und Theologie des Hans Hut. Gütersloh 2002. – Günter Vogler, Thomas Müntzer und die Gesellschaft seiner Zeit, Mühlhausen 2003. – Günter Vogler (Hg.), Bauernkrieg zwischen Harz und Thüringer Wald, Stuttgart 2008.

Siegfried Bräuer
(trad. Hélène Feydy)

Aus: Mennonitisches Lexikon, Bd. 5, Teil 1, hg. von Hans-Jürgen Goertz, 2010 (www.mennlex.de)